Anne-Claire a connu la rue. Elle témoigne ici de son ressenti et du manque d’hygiène dont elle a souffert. Âmes sensibles s’abstenir !
Comme vous l’avez souhaité je vais essayer de raconter comment gérer l’hygiène féminin dans la Rue ? On n’écrit pas pour se souvenir mais pour témoigner, pour hurler, pour pleurer. J’etais avant, dans une autre vie, secrétaire. Et là, juste une ombre, une oubliée.
Quand on est une femme dehors, on n’existe pas. On se confond avec les murs, on se cache des autres, on a honte et, dans mon cas, on devient muette.
Une ombre cela crie mais personne ne l’entend, Une ombre ne se lave pas, pas la peine puisqu’elle n’existe pas.
J’avais des poux et de la gale, des agressions violentes m’avaient fait exploser ma bouche, plus besoin de se laver les dents car pas de dents ? mes mains ressemblaient à des gants de crin, sales et irritées. Plus d’ongles.
Des vêtements. Mon problème c’est que j’étais très grosse, alors quand j’avais la force d’aller dans une église demander des vêtements on me donnait des t-shirts d’homme, des caleçons, des pantalons trois fois trop grands et pas de ceinture? je repartais encore plus désemparée. Pas de moyen de laver ses vêtements alors je les trainais comme une seconde peau, sales.
Un jour une petite fille courageuse s’est approché de moi et m’a donné un parfum, une effluve d’une vie antérieure, qui fait pleurer, qui fait se rendre compte de ce j’étais devenue. Un parfum fleuri qui restera à jamais dans ma mémoire.
Je mangeais dans les poubelles, au fond des ruelles près des restos, on me chassait mais je suis un pou : je reviens toujours. Je buvais dans les squares et je pissais dans les buissons. Je faisais peur aux enfants. Les mamans me montraient du doigt comme une sorcière.
Quand j’avais mes règles, je piquais des serviettes en papier dans les fastfoods. Et j’évitais de marcher, alors je baigne dans ma saleté. J’attrapais des mycoses, des infections urinaires, j’avais toujours de la fièvre, mon corps se rebellait puis abandonnait. Je ne sentais plus la douleur. J’étais résignée. De toute façon je voulais mourir je ne parlais a personne et personne ne me parlait. J’étais très très seule.
Quelques mois plus tard, une envie de sauter d’un pont et me voilà ramassée et mise à l’hôpital. Seuls mes yeux parlaient. Une infirmière criait et me rasait la tête, me désinfectait comme elle disait. Je sentais la javel de partout. Et un lit, des draps blancs? de la propreté? et enfin des larmes sortaient de mes yeux. J’ai pleuré une semaine ? Ils m’ont donné des vêtements propres. Blancs ! Je ne ressemblais à rien, j’arrivais toujours pas à parler.
Je suis repartie dans la rue, et je me suis assise devant un supermarché. Je ne demandais rien. J’étais là c’est tout. Et puis peu à peu les habitants du quartier se sont approchés, m’ont proposé des sandwiches, j’acceptais avec les yeux, les dévorait. Et une femme m’apportait de temps en temps un shampoing. J’allais laver mes petits cheveux repoussés dans les squares, seul point d’eau. Et là, mon hygiène s’est peu à peu amélioré. L’espoir. Mais toujours sans paroles.
Anne-Claire… Texte poignant… Comment t’es-tu retrouvée SDF ? Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
Linoa
Nous n’avons plus de nouvelles d’Anne-Claire mais lorsqu’elle nous a fait parvenir ce témoignage elle avait un logement et ses enfants étaient scolarisés. Merci
Quel terrible récit, comment rester insensible à une telle détresse! Je suis contente de savoir que cette dame a remonté la pente. Pourvu que beaucoup d’autres gens puissent eux aussi sortir du gouffre! Merci d’avoir partagé ce texte avec nous