Des photographes professionnels – Gil Roy, Gaël Dupret, Stephan Norsic, Norbert Pousseur – ainsi que des amateurs et des bénévoles qui capturent parfois quelques instants de nos maraudes comme Sylvie Mirailles, Alain Grandjean ou Olivier Tourdes exposent Gens de rue, une exposition sous forme de regards conjugués sur les sans-abris, du 27 juin au 24 juillet au Café Reflet du Centre Cerise.
Nous vous invitons au vernissage-dînatoire de cette exposition commune le samedi 28 juin à 18h30 pour partager un moment de convivialité où échanger très librement sur la démarche de ces photographes dont le travail donne à réfléchir.
A 20h, vous pourrez monter à l’auditorium pour (re)voir Au bord du Monde, le somptueux opus cinématographique signé par Claus Drexel qui donne la parole à ceux que l’on ne voit souvent même plus…
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Une projection suivie d’un débat-dînatoire animé par Pierre Benetti – journaliste (Le Monde diplomatique, Libération, Vacarme…) à partir de 21h30.
Des témoignages immortalisés par Sylvain Leser dans Au bord du Monde aux compositions pleines d’humour décalé d’Un sourire SVP de Luigi Li et Little Shao en passant par la thématique Les yeux dans les yeux avec les sdf de Lee Jeffries, depuis plusieurs mois, les photos de sans-abris semblent incontournables. Où qu’elles soient diffusées, elles subliment l’humanité des sans-abris et contribuent à l’éveil des consciences souvent plus efficacement qu’une réalité dont beaucoup détournent le regard.
Chemin de lecture artistique distancié de la misère, la photo de sans-abri est une passerelle qui fait réagir le public. Elle peut donner envie de s’impliquer, du don à l’engagement bénévole.
Les photos de sans-abris nourrissent aussi parfois la crainte et les fantasmes… « Quelle idée de faire des enfants quand on vit dans la rue ? » – « Pas étonnant qu’il n’ait pas de boulot sale comme il est ! » – « On ne devrait pas montrer ça dans la presse ça donne une mauvaise image de la ville » – « S’ils dorment dehors c’est qu’ils le veulent bien puisqu’il y a des hébergements d’urgence »…
Quelles sont les conditions, les limites de ce qu’il faut montrer ? Est-il possible de choisir les articles de presse que les photos viennent illustrer ? Quid du « droit à l’image » des sans-abris ? La diffusion de l’image des gens de la rue dans le contexte de leur précarité est-elle sans risque ? Quand l’image des sans-abris génère un bénéfice, ces derniers en profitent-ils d’une manière où d’une autre ?
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Gil Roy est reporter photographe engagé, notamment auprès d’ONG, comme Amnesty international.
Après s’être intéressé aux populations d’Afrique continentale et Madagascar, Gil a fini par tourner son attention vers « les indésirables » en marge de la société française ( sdf, sans papier, gens du voyage, victimes de la ségrégation raciale, etc.). « Je me suis plus précisément intéressé à la communauté Rom dont on parle beaucoup en France et qui, en dépit de cela, reste mal connue. »
A 27 ans, Gil prépare un documentaire sur deux familles Rom qu’il suit, en immersion entre la France et la Roumanie, depuis trois ans. Un livre sur le même sujet est en préparation.
« L image est avant tout un moyen et non un but. C’est une ouverture a l’autre, a l’esprit, aux détails. On regarde trop souvent sans voir. Le photographe a lui l’œil analytique, parfois mécanique, pour observer et saisir le « bon » moment. Mais son talent réside sûrement dans sa sensibilité, dans le frisson que lui procure cet instant ou il se fait voleur de temps, pour une vibration qu’il ne faut pas rater, une éphémère seconde, une rencontre avec l’invisible, un regard qui hypnotise, un geste qui envoûte, une lumière qui aspire, une scène qui transcende. L’appareil photo se doit d’être, pour le photographe, l’arme d’un soldat pacifique, une machine a témoigner, du meilleur comme du pire. »
Norbert Pousseur. La retraite a-t-elle un sens pour cet ancien élève de la célèbre école supérieure de photographes de Vevey ?
Ancien cadre de gestion des archives audiovisuelles de l’INA, Norbert a participe à quelques expos marquantes dont Villes nouvelles commandée par le Centre Georges Pompidou ou Les poupées abandonnées d’Art’lon en Belgique.
Les sans-abris, il les observe et les donne à voir. « Laisser ainsi ces âmes dans la rue est scandaleux. Je ne suis qu’un photographe et n’agit que par la photo. Montrer à travers l’image que ce que je ressent, partager mes sentiments est le seul moyen dont je dispose pour susciter, peut-être, une révolte intellectuelle, une prise de conscience des conditions de vie insupportables des gens de la rue. »
Sujets douloureux, pour ceux qui en pâtissent, sujets qui interpellent… Norbert interroge ici et là en marge de ses photos sur son site qu’il nourrit patiemment depuis 10 ans ! « Il y a ceux qui dorment comme il peuvent, dans un parc, au milieu du trottoir ou vaguement sous un auvent, la canne soigneusement posée à côté. Il y a ceux qui semblent isolés, sans personne à qui parler, comme devant un mur de prison, ou le vide silencieux des passants. Il y a ceux qui restent en couple, mais qui semblent tellement en dehors de tout. Il y a ceux qui meurent dans la rue, ne reste que brièvement le souvenir de leur banc préféré. »
Stéphan Norsic est photographe de reportage et portraitiste professionnel qui, après avoir été diffusé dans plusieurs agences dont Face2Face, Gamma, Andia et Sipapress a choisi de ne plus l’être par aucune… Il est aujourd’hui professeur de photographie chez Zoomup et travaille pour la presse française et étrangère, les entreprises et les institutionnels. De nombreux magazines font appel à lui – Le Monde, Le Point, l’Express, Pèlerin magazine, Témoignage chrétien, Courrier des maires, Gazette des communes, Closer, Maxi ainsi que des agences de communication et des institutionnels.
Et puis un jour, son chemin croise celui de Cornel et Rosita. « Rosita est une adulte handicapée mentale. Chassée de chez elle par sa famille, elle est à la rue depuis trois ans. Incapable de se débrouiller seule, elle vit dans le plus grand dénuement. Cornel est roumain. Après avoir travaillé de nombreuses années dans son pays comme ouvrier, il se met à voyager pour fuir la crise. Il exerce différents petits boulots d’abord en Allemagne, puis en Italie, en Espagne et finalement à Paris en France où il réside depuis une dizaine d’années. Maintenant ici sans emploi, il doit faire la manche pour vivre. Pour lui hors de question de retourner vivre en Roumanie où là bas, dit-il, la vie est trop rude. Il y a trois ans Cornel et Rosita se rencontrent. C’est le début d’une histoire d’amour entre eux deux. Entre les galères de la vie dans la rue et les tracas administratifs la vie n’est pas facile. En couple et sans revenu, il leur est impossible de trouver un logement. Cornel qui a conscience de tout cela prend Rosita sous son aile et s’occupe à remettre de l’ordre dans ses affaires personnelles. Ainsi, grâce à lui, elle obtient une domiciliation postale, un tuteur et une assistante sociale. Ils vivent maintenant dans l’attente d’un logement qui, étant donné la conjoncture, n’arrivera sans doute jamais et dans l’espoir de ne pas repasser encore un hiver dehors. « Parce que la rue en hiver c’est trop dur. Et pour madame c’est pas bien. Franchement c’est dégueulasse » dit Cornel. Un jour ils espèrent se marier. »
Gaël Dupret – « C’est mon père qui m’a appris la photo. D’abord sous forme de jeux, puis avec des explications techniques. C’est à lui que je dois tout ce que je sais en prise de vue, développement, tirage noir et blanc et à mon introduction sur la retouche photo sous Photoshop. Sans lui, je n’aurai sans doute pas fait ma première image… Oui, je voulais « faire comme papa », sans lui je n’aurai sans doute pas appris la photo et je n’aurai pas ce besoin de faire de l’image. Mon appareil est le prolongement de mon œil, il fait partie intégrante de moi et c’est une vraie drogue ! Je l’assume et je prends mon plaisir à travailler comme photographe… »
A 5 ans 1/2, il fait sa première pellicule pour le mariage de son parrain, prend conscience de la puissance de l’image et de la jouissance à faire des photos et annonce à ses parents « plus tard je veux être photographe de guerre ». A 8 ans, Gaël veut travailler pour l’AFP « parce que c’est la première agence de presse mondiale et que je veux travailler pour les meilleurs ! » Après avoir suivi pendant des années son père pour faire des photos, il devient pigiste à 16 ans pour les agences de La République du Centre et pour l’Action Républicaine à Dreux, suit la compagnie de danse Jeannine Lorca et celle de l’ancien danseur étoile Georges Piletta. « Jusqu’à mes 35 ans je suis freelance travaillant dans le milieu industriel en plus de mon travail dans la communication et le marketing. Jusqu’à ce que je prenne conscience que je ne vis pas la vie que je souhaite vivre depuis ma première photo. Je ferme mon agence de communication, monte sur Paris dans l’optique de rentrer en agence de presse. »
Des rencontres l’amènent à travailler pour des hommes politiques, des artistes, des institutions. Mais aussi des sans-abris pour « voir et ne pas oublier ! »
Sylvie Mirailles maraude avec Entraides-Citoyennes. Elle a l’art de passer d’un moment privilégié avec une personne à la prise de recul discrète derrière son objectif pour immortaliser quelques instants de nos rencontres avec les gens de la rue sans jamais heurter leur sensibilité ou violet leur intimité.
« Mon passe temps favoris : figer le temps en photographiant. La photographie me permet de prendre le temps d’observer, d’admirer, de découvrir et de partager. Ma rencontre avec l’association Entraides-Citoyennes en 2013 m’a fait découvrir notre monde sous un autre regard, aux côté de bénévoles généreux. Cela m’a permit de rencontrer des citoyens sans abri, des citoyens courageux qui, malgré les galères du quotidien, gardent le sourire. »
Sylvie témoigne de ce que nous faisons et de ce que nous recevons des personnes à la rue. « Photographier les bénévoles dans un premier temps, puis les sans-abris qui le souhaitent, discuter avec ces personnes qui n’ont pas forcément de travail, pas d’abri fixe pour vivre normalement, pour qui il est dur de remonter la pente est important. La chaleur humaine entre bénévoles et citoyens sans abri m’a donné envie de faire ces photos pour témoigner de la solidarité entre humains, montrer que l’individualisme n’a pas tout emmené sur son passage… »
Olivier Tourdes est photographe amateur et père de deux enfants. Diplômé en informatique et travaillant dans le secteur médical, ses passions pour la photographie et la poésie se sont développées au fil des années. « Elles sont toutes deux liées à mon désir de restituer quelques éléments tangibles de ma vie et témoigner de rencontres fortuites qui touchent ma sensibilité. Dans ma quête de donner du sens à l’existence et la maturité aidant, j’ai ressenti l’envie de poser mon regard sur les autres. »
C’est en sillonnant les rues de Paris que très rapidement son souhait de photographier les sans-abris ou les personnes en difficulté s’est manifesté. « Aller à leur rencontre, avec mon appareil photo comme seul témoin, m’a aidé à mieux comprendre leurs fragilités et les difficultés qui jalonnent leur quotidien. Ma démarche n’est en rien celle du passant voyeur qui observe cette réalité avec peur et dégoût. Elle vise au contraire à lutter, par l’image, contre les préjugés et les idées reçues dont ces personnes sont victimes. »
Pour Olivier, le sujet et son environnement deviennent alors plus importants que la technique elle-même. Le sans-abri n’est plus seulement un sujet anonyme mais l’acteur de l’œuvre à part entière. « Mon parti pris pour le noir et blanc permet d’accentuer ces situations pleines de contrastes, tout en renforçant le sens artistique de la photo. Photographier le quotidien d’une personne qui vit dans la rue, capter les moments de lecture, de rire ou de repos – qui n’ont rien de différent avec notre propre quotidien – renforce le tragique de la situation et m’aide à nous faire prendre conscience que nous pouvons tous être des gens de la rue. Et ainsi, par ce jeu de miroir, j’ai le sentiment de leur redonner une part d’humanité. J’espère qu’une seule photo puisse changer le regard du passant sur ces femmes et ces hommes. »
Alain Grandjean maraude lui aussi avec Entraides-Citoyennes. On trouve dans ses photos l’empreinte de sa formation scientifique et de son passé professionnel lorsqu’il enseignait les Sciences Physiques au Lycée. Un regard bien à lui : généreux, aussi attentif au sujet qu’à la beauté des lieux, au cadrage et à la subtilité de la lumière.
Qu’il se penche vers les sans-abris pour se mettre à leur écoute, leur servir un repas où les mettre en lumière, Alain le fait avec la même empathie et le même enthousiasme.
Car, comme il le dit lui-même « l’important c’est d’abord le sujet, ensuite le sujet, et toujours le sujet ».
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